La culture des roses en Bulgarie

par Jean Louis Fabaron, guide-accompagnateur

À l’écart des circuits touristiques traditionnels la Roumanie et la Bulgarie offre un mélange de merveilles naturelles, de folklore séculaire et de richesses culturelles que l’on ne soupçonne pas. Voyages Lambert l’a compris depuis bien longtemps et son circuit combiné « Roumanie et Bulgarie – Au temps de la cueillette des roses » est l’un de nos classiques qui jamais n’a cessé de plaire et de convaincre de son intérêt culturel. De ce circuit, pour les besoins de cet article nous ne retiendrons que la partie bulgare et surtout nous allons nous intéresser à la culture des roses qui est pour ce pays une activité séculaire.

En effet ce pays est l’un des principaux producteurs d’essence de rose dans le monde et sa Vallée des roses émerveille ses visiteurs à plus d’un titre. Nichée dans un extraordinaire paysage entre les montagnes de Sredna Gora et les monts Balkans, au centre du pays, Kazanlak, la plus grande ville à proximité, est surnommée la « capitale de la rose ». Les fleurs, blanches, rouges et roses, y éclosent chaque année entre mai et juin, puis pendant l’été, de nombreuses fêtes traditionnelles sont organisées dans les villages aux alentours permettant de découvrir des traditions tout à la fois étonnantes et poétiques.

L’origine de la culture des roses en Bulgarie

De passage dans la région de Kazanlak il ne faut pas manquer de visiter le musée de la rose, créé en 1967, un incontournable qui est bien sûr proposé dans notre circuit « Roumanie et Bulgarie ». Au travers d’une multitude d’objets, de photos et de documents on y retrace l’histoire ainsi que les origines et le processus de fabrication ancestrale de l’essence de rose.

Selon les chroniques anciennes, les premières roses ont été importées de Thrace par les garnisons d’Alexandre le Grand. La vraie histoire de la rose bulgare, toutefois, commence bien plus tard. La légende dit qu’à la fin du XVIe siècle, un magistrat turc apporte de Tunisie une rose originaire de la région de Kashan, en Perse. Il cultive la plante dans les jardins de sa propriété près de la ville de Kazanlak, dans le nord de la Thrace et lui donne le nom de Rosa Damascena en hommage à la ville de Damas, dont il avait pu goûter les charmes lors de son voyage entre l’Afrique du Nord et l’Europe orientale. Impressionné par la beauté de ces jardins, le sultan Mourad III ordonne au juge, le 25 février 1593 très exactement, de développer la culture de la rose pour les besoins du palais. C’est à partir de cette époque qu’apparaitront les champs qui forment aujourd’hui la Vallée des roses.

Au départ, les fleurs de roses sont destinées à la production de l’eau de rose pour l’Empire ottoman et les pays arabes. Les méthodes de production et le matériel de distillation – des alambics de cuivres d’une capacité de 80 à 120 litres – sont importés de Perse et de Tunisie. Au bout de plusieurs décennies d’apprentissage, les horticulteurs bulgares découvrent une nouvelle substance plus concentrée : l’essence de rose. Afin d’obtenir une fragrance de meilleure qualité, on commence à pratiquer des distillations multiples. Un mélange de fleurs et d’eau (40 à 50 litres d’eau pour 10 kilogrammes de fleurs) est distillé pour produire un premier substrat à nouveau distillé puis mélangé, non plus avec de l’eau mais avec une autre matière distillée. On arrive ainsi à la « rose absolue », substance crémeuse et dense d’un arôme exceptionnel.

La production de l’essence prend son envol à la fin du XVIIe siècle alors même que l’industrie du parfum se développe en Europe occidentale. Rapidement, l’essence de rose devient un produit très recherché. Les producteurs bulgares délaissent l’eau de rose et les marchés de Constantinople et du Proche Orient pour se tourner vers Vienne, Paris et Francfort. Avec la fin de la domination turque, la production de l’essence de rose atteint son apogée – 5 346 kg en 1900 – et devient la première industrie du pays. La Bulgarie est alors le plus grand producteur et exportateur d’essence de rose dans le monde.

L’industrialisation de la production et l’Âge d’Or

Amorcé par un juge turc, le fabuleux destin de la rose bulgare est également lié, dans sa phase industrielle, aux prouesses d’ingénieurs français. La première distillerie à vapeur est construite près de Karlovo par le Français Pierre Chier et le Bulgare Slavi Mitov. Avec ses quatre alambics d’une capacité de 2 500 litres chacun, elle révolutionne les méthodes de production. Un autre Français, le cannois Charles Gamier apporte en Bulgarie une technique française qui permet d’extraire une nouvelle essence – la « rose concrète » – avec de l’éther de pétrole. Enfin, en 1904, une compagnie parisienne construit une grande distillerie de roses dans le village de Kournaré. L’usine, édifiée par un certain Monsieur Verley, arrive en tête de la production d’essence de rose sur les cent dernières années. Elle continue de susciter l’admiration des Bulgares.

Le début du XXe siècle fut la période faste de l’essence de rose : avancées de la recherche scientifique sur les huiles essentielles, organisation du premier festival national de la rose en 1903, première conférence sur l’industrie de la rose en Bulgarie trois ans plus tard. À la veille de la Première Guerre Mondiale, l’industrie de la rose monopolise plus de 8 000 hectares de terres arables et emploie 200 000 salariés. Après les bouleversements de la Première Guerre mondiale, l’État décide de promouvoir officiellement l’industrie de la rose. La production et le commerce sont placés sous le contrôle du gouvernement qui garantit la qualité de l’essence. Des plans de soutien sont mis en place pour encourager le développement et la diversification des distilleries. La Vallée des roses se lance avec succès dans la production d’essence de lavande et de menthe. La Deuxième Guerre Mondiale viendra malheureusement porter un coup d’arrêt à cet essor.

La production aujourd’hui

Avec l’arrivée des communistes au pouvoir en 1945, les 95 distilleries existantes sont nationalisées et regroupées au sein de l’entreprise publique Balgarska Rosa. Les débouchés à l’export disparaissent subitement. La production devient monopole de l’État et commence à décliner. Les entreprises modernisent leurs installations – électrification, nouveaux alambics de 5 000 litres – et s’orientent vers l’industrie cosmétique et pharmaceutique, la rose étant connue – depuis Pline l’Ancien – pour ses vertus médicinales.

Aujourd’hui, les roses sont cultivées sur un peu plus de 1 500 hectares et produisent entre 1 000 et 1 300 kg par an. Peu de choses par rapport aux 5 346 kg du début du siècle dernier. Néanmoins, la tradition est perpétrée. Quatre compagnies privées et publiques, issues de Balgarska Rosa, maintiennent l’industrie en vie et cherchent à lui redonner un nouveau souffle, sous la houlette de l’Institut de roses, huiles essentielles et plantes médicinales de Kazanlak, à la fois autorité de contrôle et centre de recherche du secteur. Au milieu des années 1990 la tendance s’inverse et on assiste à une véritable renaissance : de nouvelles plantations sont faites, de nouvelles distilleries sont installées, donnant des productions de qualité. Aujourd’hui, la Bulgarie est revenue au premier plan dans le monde de la rose de parfumerie, devançant ainsi la Turquie et le Maroc.

Soixante-dix % de la production partent désormais vers l’Europe occidentale ou les États-Unis où le kilogramme de « rose absolue » se négocie entre 4 000 et 8 000 $. Ce sont surtout les coûts de la main-d’œuvre qui rendent cette huile aussi onéreuse. La Bulgarie fournit toute la parfumerie mondiale de Genève à New York, en passant par Grasse. La France étant la principale cliente de la Bulgarie pour la confection de parfums et produits cosmétiques. La deuxième place occupée par les États-Unis est plus surprenante : les Américains utilisant l’huile de rose pour lubrifier les navettes spatiales car elle résiste à toutes les températures. D’autres clients réguliers sont le Japon, l’Irlande, l’Allemagne, l’Angleterre, les Pays-Bas, la Suisse, l’Autriche, etc.

Les secrets de la rose bulgare

La Vallée des roses est la seule région de Bulgarie où l’on puisse cultiver la rose damascène et produire de la « rose absolue ». Elle bénéficie en effet de conditions climatiques et d’une qualité de sol exceptionnelles. L’humidité de l’air, le ciel nuageux, ainsi que les pluies peu abondantes mais fréquentes au printemps, sont particulièrement favorables à la culture de la rose damascène. Sous l’effet de ces conditions climatiques et du sol, l’espèce originelle de rose a graduellement mué pour devenir une espèce à part, différente des rosiers oléagineux cultivés dans les autres pays. C’est ainsi qu’au début du XIXe siècle, elle obtient le nom de rosier oléagineux de Kazanlak puisque Kazanlak fut l’endroit où l’on planta cette rose pour la première fois.

Ces conditions climatiques, modérément continentales, prolongent la période de floraison et suppriment l’évaporation de l’essence, ce qui accroît le rendement au moment de la distillation. À la différence de sa parente, la rose de Kashan, continuellement exposée à une forte radiation solaire, la rose damascène bulgare se couvre par ailleurs d’un film protecteur de cire très fin. Grâce à cette ruse de la nature, la « rose absolue » contient moins d’acide stéarique (stéaroptene) que les essences de rose communes. Cette faible teneur en stéaroptène est un gage de qualité.

Le « sol de cannelle », mélange de sable, de terreau et de gravier, propre à la Vallée des roses facilite également la culture des plantes. Les producteurs bulgares utilisent une méthode originale de préparation des terres, appelée « kesmé ». Le sol est travaillé tout au long de l’année afin de conserver un taux d’humidité convenable pendant l’été et de protéger les racines pendant l’hiver. Les horticulteurs savent aussi ne pas forcer leurs roses. Il faut plusieurs années pour que la rose damascène commence à fleurir et plusieurs années encore pour qu’elle puisse produire de l’essence.

Dernier secret de la rose bulgare : pour que soit préservée toute la fraîcheur des fleurs et la finesse de leur essence, la cueillette doit se faire à la main, et commencer obligatoirement avant l’aube.

La cueillette et la distillation

Dès 5 h du matin, des milliers d’ouvriers saisonniers quittent les villages des alentours pour se diriger vers les champs de roses. La cueillette doit se faire à la main car aucune machine ne peut faire ce processus délicat. Il commence à l’aurore et se termine vers 9 h du matin, avant que le soleil ne sèche la rosée, pour que la fleur conserve tout son parfum. Il faut que les fleurs soient parfaites : ni en boutons, ni trop ouvertes. La rosée du matin conserve leur huile et, donc, leur parfum, à l’intérieur des pétales. Si on entame la cueillette à la mi-journée, la fleur s’est ouverte au soleil et la plus grande partie de l’huile s’est évaporée. Quand les journées sont très chaudes, on limite la cueillette. Les meilleurs ouvriers cueillent environ 60 kg par jour, ce qui fait 20 000 roses environ.

Une fois que le premier chargement a été cueilli, les pétales partent à la distillerie. Toutes les roses doivent être traitées le jour même de leur cueillette, pour éviter que les pétales ne s’abîment. Durant la récolte, en mai et en juin, il n’y a ici ni fin de semaine, ni jour férié : la distillerie fonctionnant 24 heures sur 24. Jusqu’à 3,5 tonnes de pétales de roses sont nécessaires pour obtenir 1 seul litre d’huile essentielle de rose. Les cueilleurs remplissent des sacs plastique d’une capacité de 30 kg. Ils sont attendus à la distillerie le plus tôt possible.

Distillation rose bulgarie

L’extraction d’huile d’essence de rose se fait traditionnellement par processus de double hydrodistillation. Les ouvriers plongent les pétales de roses dans de grands alambics contenant un important volume d’eau. La vapeur émise par l’ébullition de l’eau chauffée à 100 degrés dégage une odeur très forte. Sur place, les alambics sont capables de distiller 500 kg de fleurs dans 1500 l d’eau. Le processus de distillation dure au total 1h30. La vapeur se condense et après refroidissement dans un serpentin se sépare alors en eau et en huile parfumée.

3 500 kg de pétales rose ou rouges, et 5 000 à 6 000 kg de pétales blancs sont nécessaires à l’extraction d’un kilo d’huile dont le coût, on le comprend, est supérieur à celui de l’or. Étonnamment, la quantité d’huile n’est pas exprimée en litres mais en kilos. Chaque kilo d’huile représentant plus ou moins la récolte effectuée sur un hectare de rosiers. Après distillation, l’huile de rose est gardée dans des bouteilles scellées par un cachet de cire, dont il n’existe qu’un seul exemplaire, fabriqué il y a 70 ans, pour éviter les fraudes et les contrefaçons. Elle est ensuite transportée dans des récipients de cuivre et conservée à la Trésorerie nationale, à Sofia.

Les bienfaits de l’essence de rose bulgare

Les multiples bienfaits de l’essence de rose sont bien connus. Celle-ci possède des vertus à la fois astringentes et revitalisantes, qui transmettent éclat et fraîcheur à la peau. Elle soulage également les blessures et les plaies, avec des propriétés cicatrisantes. Le parfum de rose, quant à lui, faut-il encore le dire, diffuse des effluves légères et enivrantes. Parmi les 5 000 sortes de roses qui existent à travers le monde, seule la rose bulgare rosa damascena parvient en effet à donner une essence de grande qualité ayant l’unique pouvoir d’harmoniser les senteurs les plus contradictoires. Elle constitue, pour les spécialistes, l’une des composantes les plus subtiles de la haute parfumerie. Si une partie est donc destinée au luxe, l’autre se destine à l’élaboration de produits cosmétiques (eau, crème, parfum…) et touristiques (liqueur, pétales séchées, confitures…) vendus dans toute la Bulgarie.

Folklore et traditions autour de la rose

En programmant une découverte de la Bulgarie pendant le mois de juin, comme le fait Voyages Lambert, vous pourrez assister au festival de la rose à Kazanlak. Chaque année, depuis 1903, le début de la cueillette est signalé par la Fête de la Rose entre le 24 mai et le 10 juin à Kazanlak, Karlovo et dans les villes environnantes. Cet évènement exceptionnel attire des visiteurs venus des quatre coins du pays et du monde.

C’est le meilleur moment pour visiter la région. Les roses de la Vallée sont en fleurs, plusieurs ensembles folkloriques apportent gaîté et bonne humeur, des cortèges traversent les villes. Vous pouvez assister à des reproductions d’anciennes traditions locales et goûter à des plats et des boissons créés à base de rose bulgare. Les femmes sont vêtues du costume traditionnel et coiffées d’une couronne de roses. Elles remplissent de pétales de rose leurs corbeilles d’osier qu’elles portent sur leurs épaules. Cette cueillette récoltée à la main, permet de replonger dans les coutumes ancestrales et de voyager dans le temps. Vraie féerie de couleurs, de chants et de danses, la fête menée par le personnage du roi Seut III (le grand roi thrace du IVe siècle avant J.C.), se déroule dans les rues de la ville et aux alentours avant de finir par le couronnement de la Reine de la Rose, la plus belle jeune fille de Kazanlak. La fête se termine par de grands feux d’artifices. C’est un festival qui permet d’assister non seulement aux rites de la cueillette mais aussi aux démonstrations de distillation d’essence de la fleur, un vrai partage d’authenticité !

En conclusion

Rien d’étonnant que la rose soit devenue le symbole non officiel de la Bulgarie. Et ce n’est là que l’un des aspects insolites que peut vous offrir la Bulgarie. Ce pays, patrie d’Orphée et de Spartacus, tout comme son voisin la Roumanie, ne reçoit pas l’attention qu’il mérite. Pourtant ces deux contrées ont quelque chose de féérique, pur comme l’eau des roses. La lumière y est douce et veloutée et l’on peut encore s’émerveiller au contact de leurs traditions vivaces et de leur sens de l’accueil qui ne portent pas encore les stigmates d’un tourisme de masse. On peut pratiquement dire qu’il s’agit de l’une des dernières « terra incognita » européennes et donc des pays qui méritent vraiment d’être connus. Entre Occident et Orient, au carrefour des christianismes catholiques et orthodoxe, des empires austro-hongrois et ottomans, du passé et du moderne ces pays vous invitent à découvrir des plaisirs simples et des émotions culturelles inattendues. C’est ce que nous aimons vous proposer chez Voyages Lambert!

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