La céramique de Caltagirone
par Jean Louis Fabaron, guide-accompagnateur
Lorsqu’on considère un voyage en Sicile avec Voyages Lambert, plusieurs choix s’offrent à vous! Le circuit Grand tour de la Sicile vous permettra de découvrir la perle de la Méditerranée dans ses moindres détails alors que nous offrons aussi un combiné vous permettant d’explorer le Sud de l’Italie et la Sicile. Quel que soit votre choix, dès votre arrivée en Sicile, votre regard sera immédiatement séduit par la présence, un peu partout, chez les commerçants comme chez les habitants, de céramiques émaillées ravissantes et colorées que les résidents aiment à utiliser comme décoration. D’une façon générale ces céramiques sont dites de Caltagirone car la ville éponyme est l’épicentre d’une production qui fait la fierté des Siciliens et dont l’excellence artisanale est reconnue dans le monde entier.
Ces céramiques sont souvent ornées d’images allégoriques dont l’une qui représentent une tête de gorgone entourée de 3 jambes repliées, la Trinacrie, le symbole de l’île, que l’on trouve collées sur un mur, à côté d’une porte ou d’une devanture de magasin; des séries de carreaux de faïence portant des frises de feuilles, de fleurs ou de fruits entourant les fenêtres ou voire de simples numéros civils entourés d’une décoration foisonnante. Parmi cette abondance pittoresque on rencontre fréquemment de superbes têtes sculptées en forme de vase, nommées « têtes de maure », qui ornent les balcons et dans lesquelles on insère des plantes. On retrouvera les mêmes, en format réduit, sur les tables pour y présenter les condiments et les antipasti quand ce n’est pas pour simplement décorer les étagères et les présentoirs dans les intérieurs des maisons.
Ce sont les Arabes qui construisirent une première forteresse médiévale, perchée sur une colline à l’intérieur des terres, en des lieux pourtant fréquentés depuis l’aube de l’humanité. Cal’at Ghiran donnera le nom de Caltagirone. Bien sûr, lorsqu’on connaît l’histoire de la Sicile, on peut aisément deviner que les Normands la conquirent à leur tour. Ce sont ces deux cultures à la fois antagonistes et complémentaires qui assurèrent le développement de la ville, reposant sur la fabrication de la céramique et sa distribution. Le tremblement de terre de 1693 détruisit la ville et on la rebâtit à l’époque baroque. Une architecture remarquable qui vaut à la ville, ainsi qu’à certaines autres du Sud-Est de la Sicile, une classification sur la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2002.
La céramique est pour la ville de Caltagirone non seulement une tradition d’ornementation et d’architecture mais aussi et surtout, un véritable art qui se transmet depuis des millénaires, dont les artefacts sont de plus en plus exportés. Nombreuses sont les maisons à travers le monde qui exposent ces beaux objets entièrement fabriqués à la main en Sicile. Et quand on parle de céramique de Caltagirone on parle d’une très longue tradition car on a trouvé dans les sites archéologiques de la région d’innombrables objets qui témoignent de l’utilisation de la céramique à diverses époques passées.
Selon les divers éléments historiques dont nous avons la connaissance, l’utilisation de la céramique sur le territoire de Caltagirone est mentionnée depuis avant la période grecque. Cependant ce sont les Grecs qui ont importé, dans les riches territoires en argile de Caltagirone, les compétences pour pouvoir optimiser le travail de cette matière première et ainsi fabriquer des outils et divers objets. On sait par exemple que la création de vases était fréquente pour pouvoir conserver et transporter le miel produit dans la région. Plus tard, avec l’avènement de la domination arabe au IXe siècle, les méthodes ont été perfectionnées, entre autres grâce à une amélioration notable des processus de production et la mise au point de la glaçure, une technique de vernissage qui rend les objets imperméables. C’est à cette époque que les décors des poteries se parent de motifs raffinés, déclinés principalement dans les bleus, verts et jaunes. On connaît alors l’existence d’un quartier entier qui jusqu’au XIVe siècle n’abritait presque qu’exclusivement des boutiques d’artisanat, témoin de la grande tradition et surtout de l’impact de la céramique sur l’économie locale de l’époque, chose que les Normands avaient bien compris lorsqu’ils s’emparèrent du pouvoir. Souverains normands, allemands, espagnols, nobles, bourgeois, riches familles de propriétaires terriens, évêques, peuple, notables, maires ont utilisé ces chefs d’œuvre en céramique (carreaux, bandeaux, bordures, vases, vasques, escaliers…) pour leurs architectures publiques et privées, pour célébrer les temps de la vie et de mort ou de la vie quotidienne tout en respectant la liberté créatrice des artistes-artisans. Le XVIIIe siècle est le siècle du tournant pour la Céramique de Caltagirone, qui va être de plus en plus utilisée comme objet décoratif et, en cela, liée au monde de l’art. Les décorations baroques du siècle des Lumières vont foisonner à Caltagirone. Elles représentent les histoires de la communauté, les cycles de la nature, la protection des maisons de l’offense du temps et du mauvais sort. Elles témoignent aussi de la piété sous forme d’images votives d’une grande fraîcheur stylistique. Au cours du XIXe siècle cette tradition s’effaça un peu, bien qu’il y eût une continuation de l’activité sous la forme de santons de crèche, soit-dit en passant d’un remarquable réalisme. Le célèbre jaune et bleu de Caltagirone vont séduire le peintre Auguste Renoir, qui voyagea en Sicile en 1882 et qui posa les céramiques de Caltagirone dans nombreux de ses tableaux. Citons pour exemple « Les jeunes filles au piano » de 1892 (Paris, Musée d’Orsay) où l’on voit sur le piano l’albarelle aux couleurs calatines. Au début du XXe siècle, Luigi Sturzo, prêtre et maire de Caltagirone fonda l’École de céramique pour permettre à cet art de se perpétuer et d’arriver jusqu’à nous et de rester un produit phare de la qualité artistique de l’artisanat de la ville.
Visiter Caltagirone, comme Voyages Lambert le propose au cours de ses circuits en Sicile, est certainement le meilleur moyen d’admirer de ses propres yeux la beauté de ces céramiques et de les apprécier encore plus en observant la fabrication ainsi que les styles utilisés dans la décoration. Plus précisément, afin de retracer toutes les étapes évolutives de cet art, un musée a été créé en 1965 entièrement dédié à cette splendide tradition locale : le musée régional de la céramique de Caltagirone. Il présente des milliers d’objets de toute la Sicile, d’abord de l’époque antique, ensuite du Moyen Âge et enfin de l’ère moderne, du XVIe au XIXe siècle. Cette collection remarquable permet vraiment de comprendre comment la céramique a évolué et pourquoi Caltagirone est devenue la capitale sicilienne de la céramique aujourd’hui.
Le musée de la céramique est l’écrin des merveilles gardées sous vitrine, mais la ville en soi est l’écrin des céramiques à ciel ouvert. Œuvres in situ dans le tissu urbain, où les trottoirs, les façades des palais et des maisons, le jardin public, les fontaines, les clochers, les pharmacies et les architectures d’intérieur ou les revêtements des sols et des murs, elles créent une iconographie somptueuse de jardin botanique, inventent des bestiaires, illustrent le goût et la culture de la civitas sicilienne. À souligner qu’à partir du XVIIIe siècle à Caltagirone il y a eu collaboration entre artisans et architectes pour la conception et mise en œuvre des pavements en céramique, un échange qui continue à être réitéré entre maîtres maçons et artistes dessinateurs d’aujourd’hui.
Parmi les incontournables du tissu urbain de Caltagirone il faut citer aussi un monument superbe, sans doute l’artisan principal de la célébrité de la ville, à savoir la Scala di Santa Maria Del Monte. Il s’agit d’un escalier monumental qui a été construit au XVIIe siècle pour relier la cité ancienne, siège du pouvoir religieux, groupé autour de la cathédrale de Santa Maria Del Monte, à la ville « moderne » située en contre bas. Il faut prendre tout son temps pour gravir les 142 marches en pierre de lave, non parce que c’est difficile, mais tout simplement parce que les contremarches sont toutes parées de céramiques multicolores. Des céramiques qui ne datent certes que de 1954, mais qui reproduisent des majoliques anciennes. Les motifs sont variés et puisent leur inspiration dans l’histoire arabe, normande, espagnole, baroque et moderne de la ville. Un vrai régal pour les yeux, le photographe et l’amateur d’histoire!
Quant aux « têtes de maure », dites de Caltagirone, omniprésentes sur le sol sicilien et dont la ville reste le centre de production le plus actif, il faut dire qu’elles sont l’un des plus remarquables souvenirs d’une époque, le Moyen Âge, où la Sicile était habitée par des personnes de cultures et de religions différentes, donc une île riche en diversité. C’est dans ce contexte, au XIe siècle, que naquit l’histoire d’amour entre un jeune homme d’origine Maure et une très belle demoiselle chrétienne, une romance qui servit de source d’inspiration à la fabrication de ces célèbres objets d’ornement. Bien sûr il y a plusieurs variations autour de la légende fondatrice et la version la plus édulcorée nous raconte un amour secret, une union à priori impossible car ce n’était pas permis de se marier entre les différentes communautés religieuses même si elles vivaient dans la même ville. Malgré tout deux jeunes gens amoureux, musulman pour l’un et chrétienne pour l’autre, réussirent à se marier et ainsi à porter une paix durable ainsi que le respect mutuel entre le quartier arabe et le quartier chrétien de leur ville. Depuis, cette union harmonieuse est perpétuée dans ces créations en céramique qui reproduisent leur visage, la tradition voulant d’ailleurs qu’il faille toujours acheter les têtes de maure par deux afin de ne pas briser leur couple et l’équilibre qui s’en dégage.
Dans la région de Palerme la légende prend une autre tournure, beaucoup plus mélodramatique. Pendant la domination arabe en Sicile, dans le quartier arabe de Palerme, la Khalsa, vivait une très belle jeune fille chrétienne qui passait ses journées à cultiver et soigner les fleurs de son balcon. Un jour passa un jeune maure qui s’éprit de sa beauté et lui déclara son amour éternel. La jeune fille répondit à son amour, mais lorsqu’elle apprit que le maure voulait retourner chez sa femme et ses enfants, elle attendit la nuit et, pendant son sommeil, lui coupa la tête! Elle en fit un vase dans lequel elle planta du basilic qu’elle mit sur son balcon. Le basilic vigoureux éveilla l’envie des habitants du quartier qui firent fabriquer des vases en terre cuite en forme de « tête de maure » pour y planter leur propre basilic. Il est au passage intéressant de noter qu’encore aujourd’hui en Sicile le basilic est considéré comme une plante riche en significations sacrées, symbole, entre autres, d’abnégation et d’amour.
Les céramiques de Caltagirone sont un condensé passionnant de tous les attraits historiques qui font le charme et la valeur touristique de la Sicile. L’abondance de ces objets de décoration dans les commerces aurait tendance à faire penser que l’on a affaire à un classique ramasse-poussière, uniquement présent pour assouvir les pulsions acheteuses des masses de voyageurs avides de souvenirs. Malheureusement il faut dire que pour répondre à cette forte demande des commerçants peu scrupuleux n’hésitent pas à proposer des articles peu dispendieux « made in… » vous savez où! Pourtant derrière tout ce tintamarre bigarré et commercial se cache un véritable trésor culturel, témoignage séculaire d’un savoir-faire transmis de génération en génération qui s’est toujours adapté aux goûts décoratifs des différentes époques sans pour autant perdre son âme insulaire si particulière. Emporter dans ses valises (ou se faire livrer chez soi) une authentique céramique de Caltagirone c’est non seulement la garantie de ramener en son intérieur un rayon de soleil sicilien mais c’est aussi la satisfaction de s’offrir un vrai fragment d’histoire et de traditions.
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