Karen Blixen, une vie d’aventure et d’écriture

par Jean Louis Fabaron, accompagnateur

Karen Blixen, voilà un nom et un prénom que l’on peut entendre prononcer au cours de certains circuits de Voyages Lambert. Qu’il s’agisse de nos très classiques circuits en Scandinavie, « Merveilleuse Scandinavie » et Grand Tour des Capitales Scandinaves » ou de notre non moins classique circuit « Kenya et Tanzanie », il est logique, voire culturellement légitime, d’y évoquer celle qui est considérée comme le plus grand écrivain danois du XXe siècle, tant pour l’œuvre littéraire qu’elle a laissé que pour son passage en Afrique, comme en témoigne sa noble demeure dans le quartier de Nairobi qui porte désormais son nom, Karen.

The Karen Blixen house Nairobi Kenya

L’honorable lionne du Kenya

« L’honorable lionne du Kenya » comme se plaisent à la surnommer certains auteurs et critiques littéraires, mais néanmoins titre qui lui avait été authentiquement attribué dans une lettre qui lui avait été adressée par un de ses anciens porteurs de fusil, est avant tout l’autrice qui a inspiré deux des plus grands chapitres de l’industrie cinématographique de ces dernières décennies, ni plus ni moins que « Out of Africa » de Sydney Pollack et « Le festin de Babette » de Gabriel Axel.

Pourquoi la fille d’Ingeborg Westenholz, issue d’une famille de négociants puissante et fortunée et de l’écrivain et officier Wilhelm Dinesen, née le 17 avril 1885 à Rungstedlund à 20 km au Nord de Copenhague, a-t-elle accédé à la dignité de ce titre « d’honorable lionne »? Parce qu’au cours des 17 ans de sa vie qu’elle passa en Afrique, sa bravoure et son goût de la chasse lui avaient attiré le respect et l’admiration, non seulement de son mari, le baron Bror von Blixen-Finecke, de ses serviteurs, mais aussi de celui qui allait devenir la grande histoire de sa vie Denys Finch Hatton. C’est d’ailleurs un titre qu’elle a mérité jusqu’au bout de sa vie, car dans « honorable lionne » il y a le goût pour la vie aventureuse et celui des safaris, il y a la bravoure face aux cataclysmes et aux pertes qu’elle a rencontré en Afrique mais aussi face à la maladie qui la rongeait. On y trouve aussi le sens de l’honneur qui est une vertu qu’elle exigeait de tous ses proches, elle-même la respectant, sans oublier une certaine souveraineté qui émanait d’elle et qui fascinait tout son entourage.

L’influence de son père

S’il est une personnalité marquante au cours de l’enfance de Karen ce fut son père. Petit noble, d’origine suédoise, c’était un militaire qui s’engagea un certain temps dans l’armée française, un homme politique et un homme de lettres. Pour fuir un chagrin d’amour, bien avant qu’il n’épouse la mère de Karen, il était même allé en Amérique et il avait vécu dans le Wisconsin au sein d’une nation indienne, les Chippewas où il se fit trappeur et chasseur. En 1879, grâce à un héritage il acquiert la propriété agricole de Rungstedlund au bord de la mer au Nord de Copenhague et décide de se marier. De cette union naquirent 5 enfants dont la seconde fut Karen. Étant donné que la première fille, la sœur ainée de Karen, fut accaparée par les femmes de la famille il se promit alors de considérer sa seconde comme la sienne. C’est ainsi que Tanne, comme il aimait à la surnommer, devint le compagnon de promenade de son père, balades au cours desquelles il lui inculqua nombre de ses valeurs.  Il se suicida par pendaison parce qu’il se savait atteint de la syphilis – c’est en tout cas ce que l’on dit car en fait aucun document ne le prouve – lorsque Karen avait presque 10 ans. Il est évident que c’est de son père que Karen tient son goût pour la nature et les animaux, son goût pour l’aventure et la littérature, mais aussi un tempérament dans lequel il y avait un certain dédain de la respectabilité et une admiration indéniable pour ceux qui savent prendre leurs responsabilités. Elle pensait que la vie de son père se réfléchissait dans la sienne dans une sorte de connexion troublante, une proximité presque spirituelle et il est très certain qu’elle trouva dans la personnalité de l’amour de sa vie, essentiellement platonique il faut préciser, Denys Finch Hatton, une certaine ressemblance avec le caractère de son père.

Karen Blixen et Denys
Karen Blixen et Denys Finch Hatton

Karen et Bror, liés par l’amour de l’Afrique

Karen Blixen, après avoir passé un certain temps en Suisse pour y apprendre le français, fit ses études à l’Académie Royale des Beaux-Arts du Danemark à Copenhague puis continua son cursus artistique à Paris et à Rome. Riche, elle rejette le mode de vie bourgeois et se tourne vers la peinture et l’écriture. Elle disait : « Je n’ai jamais tant aimé en ce monde que la peinture et l’écriture. Mais si j’avais à choisir, je ne serais ni peintre, ni écrivain mais fermière … ». C’est alors qu’elle fit connaissance des deux barons jumeaux Hans et Bror Blixen-Finecke, de lointains cousins qui menaient une vie mondaine intense entre chasses, courses de chevaux, golf, fêtes multiples et incessantes activités de séduction. Elle tomba follement amoureuse de Hans qui de son côté restera complètement indifférent à ses sentiments et à sa personne. Lorsque l’oncle de Hans et Bror, le comte Mogens Frijs revient au Danemark d’un safari en Afrique de l’Est, il évoque la beauté du Kenya et ses fantastiques perspectives d’évolution. Bror et Karen y voient alors tous les deux l’opportunité d’aventures, d’association, de mariage. Un pacte sera établi entre eux où seront associés le titre de Bror et ses relations avec la haute noblesse de Suède ainsi que la fortune familiale de Karen qui allait garantir leur ferme. Ils se marièrent le 15 janvier 1914 à Mombasa, le lendemain de l’arrivée de Karen au Kenya.

Ce sont ces 17 ans de vie africaine dont Karen Blixen fait la description dans son roman « Out of Africa » paru en 1937 (en français « La ferme africaine » paru en 1942). L’attirance de Tanne pour les africains fut immédiate et presque sensuelle. Elle n’avait pas, contrairement aux britanniques, de préjugés de race, une qualité qu’elle avait certainement hérité de son père qui rappelons-le avait vécu auprès des Indiens. Elle écrivit à la fin de sa vie « … Ils entrèrent dans mon existence, comme une sorte de réponse à quelque appel de ma nature profonde, peut-être à mes rêves d’enfance, où à la poésie que j’avais lue et adorée longtemps auparavant, ou aux émotions et aux instincts qui gisaient au plus profond de moi … »

Le couple Bror-Karen ne fonctionna jamais vraiment même si une certaine amitié les liait. Peu de temps après son mariage Karen tomba malade, d’une syphilis que son médecin déclara être « aussi grave que celle d’un soldat ». Il est vraisemblable qu’elle lui fut transmise par son mari qui ne cachait pas avoir des relations avec les femmes Masaï, chez qui la maladie était presque endémique. Même après le diagnostic, elle voulut rester mariée à Bror. Des années après ils donnaient encore l’impression d’un couple que lie une profonde et solide affection. Tanne acceptait les liaisons de Bror et en échange, celui-ci considérait avec sourire ses « amitiés » avec Éric Otter ou avec Denys Finch Hatton. En fin de compte c’est Bror qui fut à l’origine de leur divorce. Puis vint la mort tragique de Denys et tout espoir de bonheur quitta Tanne, de plus les récoltes ne couvrirent plus les frais et elle fut obligée de vendre la ferme. Elle repartit pour le Danemark en 1931. Pour combler le vide de sa vie, et sur les conseils avisés de son frère, elle se mit à écrire en anglais, elle était alors au seuil de la cinquantaine. Là-bas, en son domaine familial, elle s’affirma peu à peu comme une figure de premier plan de la vie artistique danoise, notamment par le biais de nombreuses « causeries radiophoniques ».

Karen Blixen livres

Blixen et ses noms de plume

Elle utilisa au cours de sa carrière littéraire parfois son vrai nom ou encore plusieurs pseudonymes tels que Tania Blixen, Pierre Andrézel, Osceola (le nom d’un des chiens de son père). C’est celui d’Isak Dinensen qu’elle adopta, entre autres, pour « La ferme africaine » et « Sept contes gothiques ». L’anecdote dit qu’Hemingway lorsqu’il reçut son prix Nobel de littérature en 1954, clama qu’il regrettait que ce prix n’ait pas été décerné à Isak Dinensen.

En 1958, Karen Blixen prend l’initiative de créer une fondation pour la pérennité de son domaine de Rundstedlund, avec la création d’une réserve pour les oiseaux dans le parc. Elle publiera la même année « Les derniers contes » comprenant notamment « Le festin de Babette ». C’est en septembre 1962 qu’elle mourra dans le domaine familial et dans lequel elle est enterrée au fond du parc.

Karen Blixen fut une magnifique conteuse, une vocation ancrée en elle dès l’enfance car elle avait été bercée par les contes d’Hans Christian Andersen. C’est un art qui lui permit certainement de retenir auprès d’elle l’électron libre qu’était Denys, lequel adorait qu’on lui raconte des histoires merveilleuses. On sait que durant les absences de son ami-amant, qui parfois pouvaient durer un an, elle écrivait déjà les contes qu’elle lui raconterait lorsqu’ils se retrouvaient enfin. Ce don extraordinaire de conteuse qu’elle avait aussi pris aux africains tout autant qu’à ses ascendances vikings est celui qu’elle choisira pour se lancer dans sa carrière littéraire, un genre pourtant abandonné par la « grande littérature », car elle pensait que le monde avait besoin de merveilleux. Elle a écrit ce qu’elle savait faire. Même « La ferme africaine » pourtant un roman inspiré de sa vie là-bas n’est pas une œuvre totalement réaliste, c’est plutôt le récit d’une tranche de vie transposée, sublimée. Elle n’aurait jamais pu écrire un roman réaliste à la Balzac car au fond elle refusait la trivialité du monde, certainement parce que le monde avait été particulièrement cruel envers elle. Tous les contes de Karen Blixen (« 7 contes gothiques », « Contes d’Hiver », « Nouveaux contes d’hiver », « Ombres sur la prairie » ) ont ceci de remarquable : ce sont des contes sans moralité, surtout chrétienne, contrairement à ce qui prévaut dans ce genre littéraire, donc des contes quelque part païens, et cela déroute encore certains lecteurs. Il s’agissait pour elle de plier les lois de la réalité et de les soumettre aux arcanes de la fiction. Ce qu’il y a de particulièrement intéressant chez Karen Blixen c’est qu’il s’agit d’un grand écrivain surgi de nulle part. On ne lui connaît pas de filiation, dans le sens où on ne lui connaît pas d’écrivain qui l’ait influencée et elle n’a influencé personne après elle. C’est une œuvre qui est comme un diamant unique brillant d’un éclat extraordinaire et qui n’a pas d’équivalent, ni dans le passé, ni dans le futur.

Group of giraffes in the Serengeti National Park on a sunset background with rays of sunlight. African safari.

Amoureuse de la nature

Pour évoquer d’autres dimensions de cette auteure à nulle autre pareille on peut ajouter aussi que Karen Blixen dans son rapport à la Nature avait toute la noblesse du prédateur qui tue certes, mais qui sait aussi protéger et respecter son domaine. Elle aimait la chasse et elle aimait aussi les animaux et la vie animale. Ceux-ci furent toujours une source d’inspiration, voire de combats car elle fut par exemple fermement opposée à la vivisection qu’elle dénonça vivement au cours de conférences. Elle fut de même très critique à l’égard de l’enfermement des animaux dans les zoos. Très jeune on lui inculqua – son père certainement – qu’il fallait observer les animaux pour comprendre les êtres humains et qu’il n’y avait rien de plus précieux que la Nature. La description qu’elle fait de la girafe au début de « La ferme africaine » est absolument magnifique, elle dénote toute l’admiration qu’elle vouait aux beautés de la Nature : « J’ai maintes fois vu des girafes arpenter la plaine, avec leur grâce incomparable, quasi végétative, comme s’il ne s’agissait pas d’un troupeau d’animaux mais d’une famille de rares fleurs colossales tachetées et montées sur de hautes tiges ». Aller en Afrique et voir des girafes avec cette phrase de Karen Blixen dans la tête donne une image encore plus poétique des immensités sauvages que l’on y découvre! Si vous participez aux safaris africains organisés par Voyages Lambert, nous saurons vous le rappeler! Karen Blixen n’aimait pas que les animaux, elle aimait aussi les gens, certains gens. Elle aimait les Kikuyus, elle admirait les Masaï, peuple de fiers guerriers qui faisaient vibrer sons sens de l’honneur et plus tard dans sa vie elle aimait les artistes car elle soutint de nombreux jeunes écrivains et intellectuels danois. Elle aimait aussi les rebelles, les nomades, les gens libres et aventureux qui, comme elle, rejetaient les normes bourgeoises et les convenances guindées.

Pour en revenir à l’Afrique, Karen Blixen fut un témoin extraordinaire qui a vu ce continent entrer en contact avec la civilisation occidentale et qui a été le témoin des résultats absolument terribles de cette rencontre. Elle en a beaucoup souffert, elle en a parlé. Elle a même été accusée d’être « pro-native » (ce dont elle était très fière!), de défendre les autochtones de la colonisation aveugle et arrogante. Une colonisation pour laquelle elle ressentit une grande culpabilité car elle fut malgré tout participante au mouvement avec sa plantation de café. Ce qu’elle aimait dans l’Afrique c’était l’authenticité du pays et des peuples qui y vivaient. Et ce sont les mêmes valeurs que Voyages Lambert met en avant lorsqu’il s’agit d’organiser un voyage quel qu’il soit, en Afrique ou ailleurs!

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